Allier biologie et art digital, un pari fou ? Pas pour Tom Lellouche, artiste plasticien qui crée des sculptures dans l’espace public à partir de matières organiques. Pour notre podcast 1001 PIXELS, nous avons eu la chance de rencontrer Tom Lellouche, qui nous a expliqué sa démarche, son engagement et sa vision de l’art numérique.
Le monde végétal regorge de trésors : des champignons qui produisent de l’encre, des plantes bioluminescentes ou encore les choux romanesco … Tom Lellouche l’a bien compris ! En tant qu’artiste engagé, il considère l’art comme un moyen de mettre en lumière tous ces éléments naturels fascinants. En créant des espaces d’exposition qui leur sont dédiés, il nous apporte un autre regard sur la nature et nous montre que notre action peut avoir un véritable impact sur l’environnement.
Artiste plasticien, Tom s’est formé à Londres où il a étudié les Beaux-Arts puis le design d’interaction, ce qui lui a permis d’apprendre à utiliser différents médiums et logiciels. Le mapping et les ordinateurs tels que l’arduino sont pour lui tout autant d’outils qui permettent de créer des installations interactives, des structures pensées comme des jonctions entre le végétal et l’humain.
Tom qualifie son travail d’”immersif”. À travers ses œuvres, il invite les visiteurs à toucher les matériaux, à s’immerger complètement dans une installation artistique en mobilisant leurs cinq sens, créant ainsi un dialogue vertueux entre le visiteur et le végétal. Le spectateur n’est plus passif. Au contraire, il est invité à participer activement à la transformation de l’œuvre en temps réel. Pour Tom, c’est une manière de montrer l’impact direct de l’humain sur la biodiversité et le vivant au sens large.
Si la place de l’artiste est toujours bien présente, le rapport à l’art est pourtant complètement bouleversé. Le spectateur est acteur dans la création de l’œuvre qui devient évolutive. Par exemple, dans son œuvre ECHO, grande sculpture en acier avec une cuve centrale donnant vie à un écosystème aquatique, les visiteurs sont incités à taper la cuve, grâce à un cercle de lumière équipé de capteurs qui entoure la cuve. C’est cette interaction entre les visiteurs et l’œuvre qui maintient la vie dans l’écosystème.
Une œuvre qui est donc en processus, en mouvement permanent, et qui en devient même imprévisible pour l’artiste. Les visiteurs s’approprient l’œuvre, ce qui fédère le public et crée une forme de collaboration, à la fois entre l’œuvre et le visiteur et entre les visiteurs eux-mêmes. On comprend donc pourquoi l’interactivité séduit tous les publics, et notamment un public plus jeune voire enfantin.
Un des avantages de l’art digital, c’est aussi sa capacité à être exposé partout, et donc la possibilité de le transférer dans l’espace public. Dans un monde saturé d’informations, l’art peut apporter une forme de remise en question et de sérénité à ces espaces.
Dans son travail, lorsque Tom pense un projet, il prend en compte divers paramètres extérieurs, comme la température ou la lumière, qui sont bien plus variables qu’à l’intérieur d’un musée. Son œuvre est ainsi empreinte de spontanéité et vecteur d’imprévisibilité.
Parmi ses inspirations, il cite volontiers Gustave Metzger, créateur du concept d’art auto-destructif. C’est d’ailleurs ce qui lui a donné l’idée de créer des installations évolutives, qu’il qualifierait d’"auto-créatives".
Pour Tom, faire de l’art numérique, c’est faire intervenir un ordinateur dans le processus de création, sans pour autant nécessairement en faire la pièce centrale du travail.
La question du dispositif de création, l’apparatus, c’est d’ailleurs une question qui intéresse beaucoup Tom, qui a écrit sa thèse de master sur ce sujet.
Comme il le souligne, le dispositif choisi influence la pièce créée. Il s’agit de trouver des techniques et des outils qui recréent les effets souhaités pour donner vie aux inspirations des artistes. Par exemple, Tom utilise de petits ordinateurs comme l’arduino ou le LattePanda, qui peuvent avoir de nombreux logiciels mais sont discrets et de petite taille, particulièrement pratiques pour ses installations immersives.
Cependant, comme le rappelle Tom, les artistes numériques n’utilisent pas seulement l’outil numérique, mais le combinent aussi parfois aux outils plus “traditionnels”. Il faut rappeler que l’art vit en fait actuellement sa période de transition vers le numérique, comme l’a eue la musique il y a déjà quelques années. Si l’art numérique est aujourd’hui considéré comme un art à part entière, il fait encore parfois face à quelques réticences, qui tendent à se raréfier au fur et à mesure qu’apparaissent des outils de plus en plus perfectionnés.
Mais alors, comment faire cohabiter créativité et technologie ? Pour Tom, l’artiste est forcément un peu technicien dans sa pratique. Mais la démarche n’est pas la même : un artiste utilise l’outil numérique comme médium pour la création donnant lieu à des possibilités infinies. Tom décrit sa volonté créative comme une “nécessité”, terme emprunté à Gilles Deleuze qui voit cette volonté créative comme une force extérieure qui s’impose à l’artiste. Pour lui, on ne naît pas vraiment artiste; mais en expérimentant, la nécessité de créer apparaît naturellement selon la sensibilité de chacun.
Cette découverte, Tom l’a vécue pendant ses études d’art. En s’essayant à diverses techniques et des matériaux, la pratique artistique prend forme, devient cohérente, et s’impose comme un moyen d’expression. Un langage qui se dessine aussi au rythme de ses échanges : Tom est actuellement en résidence au Consulat, lieu culturel parisien dédiant un espace aux expositions et aux performances. C’est donc un lieu riche en profils qui permet de créer de la cohésion entre les artistes et leurs disciplines. L’artiste seul dans son atelier, ce n’est pas une vision qui fait rêver Tom.
Il n’est pas impossible d’être un artiste engagé et d’utiliser le numérique ou les NFT. En effet, ces technologies existent dans tous les cas, on ne peut pas le nier; mais on peut les utiliser pour faire passer un message fort qui surpassera cette dimension néfaste pour sensibiliser sur ces sujets et inspirer le changement. L’artiste peut aussi choisir des matériaux à empreinte plus limitée ou trouver des alternatives pour réutiliser les matériaux et réaliser des installations durables qui auront une réelle influence sur les visiteurs. »
Utiliser les nouvelles technologies, c’est justement le moyen de jouer sur l’immersivité pour renforcer l’impact du travail de l’artiste.
Et les NFT dans tout ça ?
La technologie NFT fait certes l’objet de critiques : surspéculation, impact écologique… mais on oublie parfois que cette révolution technologique est aussi un bon moyen d’apporter de la visibilité aux artistes numériques, d’apporter de la rareté et donc d’élever l’art numérique sur le devant de la scène du marché de l’art actuel.
En bref, un artiste engagé dont les installations immersives nous font redécouvrir le monde végétal !
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