Exposition Au-delà des limites par le teamLab, La Villette
Dans cet article, nous définirons l’art numérique comme l’ensemble des œuvres qui s’emparent des nouvelles technologies pour questionner notre rapport au numérique. Dans ce sens, ne peut être définie comme numérique une œuvre qui utilise le numérique comme simple outil. Le numérique doit faire partie intégrante du processus créatif de l’artiste. Il intègre les nouvelles technologies afin de les sonder et de comprendre en quoi celles-ci modifient notre rapport au monde.
Filipe Vilas-Boas avec son œuvre The Punishment. Œuvre composée d’un bras robotique qui écrit de manière frénétique : « Je ne dois pas faire de mal aux humains… Je ne dois pas faire de mal aux humains ».
Dès lors, le champ des possibles est très vaste puisque chaque innovation technologique ouvre de nouvelles perspectives à la création artistique. Bio art, Net Art, réalité virtuelle, réalité augmentée, mapping vidéo : l’art numérique est définitivement un art aux multiples facettes qui n’a pas fini d’inspirer les artistes. Sa grande diversité rend toute tentative de définition compliquée, tâchons cependant d’en extraire quelques composantes qui nous semblent caractéristiques de ce courant artistique.
L’art numérique s’intéresse à l’interactivité. C’est bel et bien une rupture par rapport aux formes traditionnelles d’art comme la peinture et la sculpture qui sont par essence des formes d’art statiques, faites pour être contemplées par le spectateur.
Avec l’art numérique, la relation œuvre d’art – spectateur est modifiée. L’artiste, en ajoutant différents capteurs à son œuvre, tels que des capteurs de son, de température, ou encore de mouvement, va permettre au spectateur d’interagir avec l’œuvre et de se l’approprier. Le spectateur n’est plus dans une démarche passive mais bien dans une démarche proactive : il participe à la création de l’œuvre qui peut alors prendre des formes infinies.
Cependant, rappelons que la frontière entre dispositif ludique et art interactif peut être fine. En effet, certains jeux vidéo intègrent aussi la notion d’interactivité sans pour autant appartenir au domaine de la production artistique. L’œuvre d’art ne peut se réduire à un divertissement, elle doit inviter à la réflexion et nous renvoyer, en tant que spectateur, à nos propres interrogations.
Installation interactive Résonance, Studio Tish
Si la relation œuvre – spectateur est souvent bousculée lorsqu’il s’agit d’art numérique, la relation œuvre – artiste l’est tout autant. Pour créer son œuvre, l’artiste va souvent créer son propre outil technologique, qui va lui-même se charger d’exécuter le rendu final de l’œuvre.
L’artiste numérique est souvent artiste et ingénieur, il crée son propre logiciel, façonne lui même un code informatique et c’est l’ordinateur qui se charge de générer l’œuvre : on parle alors d’art génératif.
L’œuvre, dans la mesure où elle repose sur un algorithme, n’a pas de forme achevée. Elle est générée en temps réel, face à son spectateur. Les œuvres traditionnelles se présentent sous leur forme achevée là où les œuvres numériques restent au statut de « work in progress » ; elles sont un flux permanent. Umberto Eco parle quant à lui d’« œuvre ouverte ».
Les œuvres numériques ont cette caractéristique de ne pas être déterminées à l’avance. Les règles d’évolution de l’œuvre sont prédéfinies par l’artiste mais le résultat est aléatoire.
Forays into Clamor IX, Yoshi Sodeoka
Cette œuvre a été générée grâce à un algorithme conçu par l’artiste, qui permet de faire évoluer le visuel de l’œuvre en fonction du son, afin que production visuelle et sonore forment une harmonie.
Avec l’art numérique, le spectateur est donc mis au cœur d’une expérience puisqu’il interagit avec l’œuvre et que l’œuvre se génère devant lui en fonction de paramètres extérieurs.
Cette notion d’expérience est centrale dans l’art numérique. L’expérience est à la fois émotionnelle, sensorielle et corporelle et elle peut être renforcée par l’aspect immersif de certaines œuvres. Le spectateur est alors plongé dans une expérience à la fois visuelle, auditive, olfactive ou encore tactile. Tous les sens du spectateur sont sollicités pour repenser la frontière entre œuvre virtuelle (œuvre de l’artiste) et monde réel (sensations du spectateur). Avec les œuvres traditionnelles, les artistes s’intéressaient à l’esprit du spectateur mais les artistes numériques s’emparent aussi de son corps et le placent réellement au centre de l’œuvre.
Immorphosis, Collectif Scale
L’œuvre numérique est donc en rupture totale avec les œuvres plus traditionnelles. L’œuvre n’est plus figée, elle est un flux permanent qui se nourrit des interactions avec son public, elle cherche les grands espaces, sollicite tous nos sens.
Les artistes s’emparent des outils digitaux offerts par leur époque, permettant alors des possibilités créatives infinies, alliant art et technologies !