Retour sur le sixième épisode de notre podcast 1001 Pixels avec ines alpha, artiste 3D basée à Paris.
Spécialisée dans le 3D make-up, elle aime créer des versions enchantées et fantastiques de la réalité et repousse les limites du maquillage et de la beauté en utilisant la réalité augmentée. Son objectif : encourager une approche amusante et créative du maquillage et de l’expression de soi, pour offrir une version différente de la beauté et déconstruire les standards.
Le premier contact d’ines avec la 3D remonte à ses études, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le coup de foudre immédiat. À l’époque, la 3D ne l’intéressait pas plus que ça ; c’était alors un milieu assez fermé et obscur, selon elle. Petit à petit, le développement de la culture open source a rendu les logiciels et outils 3D plus ludiques et accessibles.. C’est donc seulement vers 32 ans qu’ines décide de se revendiquer « artiste numérique ». Elle aide alors son compagnon de l’époque, l’artiste Panteros666, en travaillant sur des visuels pour ses clips. Passionnée par le maquillage, elle décide d’associer cette passion aux outils qu’elle maîtrise : à partir de photos de make-up prises par des photographes, elle ajoute de la 3D, puis intègre à ses pratiques des techniques comme le face-tracking ou la réalité augmentée, une façon pour elle d’ajouter créativité et imagination à une base réelle.
Pour elle, le 3D make-up s’inscrit donc naturellement dans la suite de sa carrière.
La première source d’inspiration d’ines pour son travail, c’est la nature. Pour elle, « la nature est le meilleur designer ». Elle apprécie particulièrement le milieu aquatique et les nudibranches, de minuscules créatures dont les couleurs, les formes et le mouvement l’inspirent beaucoup pour ses créations. Comme elle le rappelle, la 3D est aussi un outil très utile pour amener facilement dans le monde physique des éléments plus imaginaires et féériques.
Après avoir travaillé en agence de pub, plus spécifiquement dans la cosmétique, la mode et le luxe, ines a revendiqué une démarche de déconstruction. Son travail constitue ainsi une réponse aux standards de beauté imposés aux femmes dans la société capitaliste occidentale, qu’elle a pu vivre à la fois en tant que femme et en tant que directrice artistique, notamment en remarquant que nombre de campagnes sont faites par des hommes pour des femmes.
Fascinée par le côté réaliste et détaillé de la post-production, ines mélange l’univers raffiné du luxe et le côté lo-fi du smartphone pour ajouter un côté accessible et humain à son travail. Son idée : créer de vrais « selfies » pour offrir une vision du futur plus réaliste, que tout le monde puisse s’approprier.
En post-production, cette sensation d’humain et de spontané est impossible à atteindre : la pièce obtenue est unique, elle n’est pas essayable par tout le monde. Or, ce que cherche à faire ines, c’est justement imaginer le maquillage du futur, celui qui serait accessible à tous instantanément, à la vitesse des réseaux.
Lorsque Snapchat lance son Lens Studio, qui permet facilement de créer des filtres applicables aux visages des utilisateurs, ines sort son premier filtre; Elle reçoit un très bon accueil, ce qui l’incite à partager de nouvelles créations, cette fois sur l’outil d’Instagram, sorti quelques temps après.
Comme on l’aura compris, l’axe principal de la proposition d’ines, c’est déconstruire les standards de beauté en offrant quelque chose de différent, de varié - et même parfois de "bizarre", selon ses propres dires…
En fait, utiliser des filtres, c’est avoir la possibilité de transformer quelqu’un en temps réel. Mais pas nécessairement avec les filtres “qui rendent beaux”, comme on entend parfois dire. Lorsqu’on parle de filtres, on dénonce bien souvent leur côté toxique massivement exposé sur les réseaux sociaux : ce besoin de fit in, de coller aux standards, en exhibant pourtant une fausse image de soi. Pour ines, c’est le contraire ! Ses filtres ne cherchent pas à faire perdre une identité physique, mais à aider à l’acceptation de soi, en étant créatif et sans déformer les visages.
Le numérique peut-il donc être un média qui encourage l’expression de soi? Ou, au contraire, renforce-t-il notre tendance à la conformité ?
La société semble en proie à deux phénomènes contradictoires. D’une part, l’affirmation de la différence est de plus en plus mise à l’honneur. Les marques l’ont compris : mettre en avant ce qui avait pu être considéré comme un défaut selon les standards (rides, vergetures…), c’est surfer sur la tendance pour gagner toujours plus.
Pourtant, en parallèle, la norme de beauté “idéale” semble toujours plus difficile à atteindre. Comme le rappelle ines alpha, « l’être humain a toujours eu une fascination pour le beau ». Mais on parle ici d’un beau standardisé : pas de rides, pas d’acné, botox dès 20 ans, utilisation de technologies invasives… Cette recherche d’une perfection toujours plus artificielle témoigne d’un besoin de reconnaissance, d’une nécessité d’être similaire pour appartenir à un groupe social.
La créatrice remarque d’ailleurs que « la symétrie plaît au regard humain », et c’est la raison pour laquelle elle produit aussi des compositions plus asymétriques, pour habituer l’œil à des images moins « parfaites ».
En un mot, introduire de la différence et de la diversité dans son travail est plus qu’un argument, c’est un engagement.
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