"Dans ce troisième épisode de 1001 PIXELS, nous vous proposons de découvrir avec nous le monde des collectionneurs de crypto art. Pour nous accompagner dans cette compréhension du marché NFT, ses enjeux et son avenir, nous avons rencontré deux collectionneurs, Benoît Couty et Brian Beccafico, qui nous apportent leur point de vue."
Le marché de l’art ne saurait exister sans ses collectionneurs, et il en va de même pour le marché des NFT. Estimé à 44 milliards de dollars en 2021, le marché des NFT comptait alors 360 000 collectionneurs.
Mais revenons-en au début : qu’est-ce qu’un NFT ?
Un NFT (non-fungible token, ou jeton non fongible en français), est un actif numérique unique auquel est attaché un certificat de propriété protégé sur la blockchain. Cette technologie a permis une véritable révolution du marché de l’art, notamment parce qu’elle rend possible la vente d‘œuvres d’art numérique, rétablissant cette unicité qui caractérise l‘œuvre d’art. Pour les artistes, les NFT sont donc un moyen de promouvoir leur travail auprès des collectionneurs et de générer des revenus grâce à leurs créations.
Le marché des NFT est donc bien présent. Pourtant, pour beaucoup, le concept de NFT reste un peu obscur ou abstrait. Pour décrypter ce mouvement, nous avons donc rencontré deux collectionneurs.
Benoît Couty, créateur de la société de conseil en crypto art Ox4rt et co-founder de la NFT factory, a également créé le MoCA, premier musée français dédié au crypto art. Avocat depuis vingt ans, c’est au détour d’une mission que Benoît découvre les possibilités liées au metaverse. Frappé par la pertinence du monde artistique lié aux NFT, il développe une véritable fascination pour la culture crypto, qui lui inspire l’idée de créer un musée pour mettre en avant ces artistes. C’est donc cette découverte qui marque ses débuts de collectionneur.
Brian Beccafico, quant à lui, est membre du comité de curation New Frenchtouch, et NFT specialist chez Sotheby’s. Il découvre le terme NFT par hasard, dans une story de Beeple, artiste phare de l’art NFT. À cette époque, ses NFT se vendent pour peu cher, et Brian saute sur l’occasion.
Beeple
Œuvre de Beepleacheté par Brian
La grande tendance consisterait à distinguer deux types de profils :
Pourtant, la distinction n’est parfois pas si évidente, et nombre de collectionneurs cumulent en fait les étiquettes. Beaucoup de collectionneurs fonctionnent aussi au coup de cœur, mus par une sorte d’”accumulation compulsive”, qu’il s’agisse de collectionneurs plutôt d’art traditionnel, ou même de simples particuliers qui ne seraient pas nécessairement issus de ce milieu.
En fait, collectionner des NFT, c’est aussi un moyen de sensibiliser à une autre forme d’art, qui revêt tout de même un côté “madeleine de Proust”. En effet, nombreuses sont les œuvres qui reprennent des symboles bien connus de tous, dans une sorte de nostalgie inspirée par les symboles des débuts d’internet : glitch art, esthétique des premiers jeux vidéos et premiers displays numériques… Cette recherche d’une esthétique particulière est ce qui caractérise cette “culture crypto”, esthétique développée par les natifs du numérique et régie par ses propres codes.
C’est cette revendication, ce côté communautaire porté par les crypto-artistes, qui fascine Benoît. Lui se positionne clairement dans une catégorie de collectionneurs passionnés, animés par l’idée de développer une collection porteuse d’un vrai message. Ainsi, sur ses 800 NFT, 95% sont des œuvres d’art, et seules 3 ou 4 ont été revendues. Une collection, c’est en fait un véritable témoignage d’une génération d’artistes en quête de sens au milieu d’une technologie toujours présente.
Brian et Benoît font d’abord la distinction entre art numérique et collectibles, simples objets de collection. Contrairement aux collectibles, les œuvres d’art, numérique ou non, présentent une certaine intangibilité. Selon le Non-Fungible Report du 2 trimestre de 2022, les œuvres d’art résistent mieux en tant de crise que le gaming ou les collectibles. Pourtant, alors que le marché de l’art classique est estimé à 65 milliards de dollars selon le rapport UBS 2021, le marché de l’art numérique représente quant à lui 2,8 milliards de dollars en 2021, soit seulement 4% du marché de l’art total. Comment peut évoluer cette part de l’art numérique dans les prochaines années ?
Pour nos deux collectionneurs, le challenge principal consiste à générer plus de curiosité pour ce marché. Pour ce faire, les institutions ne sont pas en reste : les musées, mais aussi les maisons de vente comme Sotheby’s et Christie’s jouent le rôle de “légitimateurs” artistiques. Dans cette optique, ces institutions doivent s’emparer du sujet pour inclure des œuvres numériques à leur collection permanente - leur conférant ainsi le statut d’œuvres d’art à part entière.
The Goose
L’art numérique, c’est une forme d’art certes différente - avec d’autres références, des codes qui ne sont pas ceux de l’art traditionnel - mais qui reste un mouvement de l’art à part entière, et qui gagnerait à être démystifié par les acteurs culturels.
En ce sens, l’art numérique rejoint la destinée de la photographie ou du street art : si aujourd’hui, personne ne contesterait leur légitimité, il a pourtant fallu un temps conséquent pour les élever au rang de disciplines artistiques reconnues. Les artistes ont, de tout temps, cherché à s’emparer des nouveaux outils qui leur étaient donnés, quels qu’ils soient, et en ce sens, les collectionneurs comme les institutions ont leur rôle à jouer pour reconnaître ces disciplines émergentes.
Finalement, chaque nouvelle tendance artistique met du temps à s’imposer. Mais dans le cas de l’art numérique, il existe une particularité supplémentaire. En effet, pour les institutions, il est parfois compliqué de s’interposer dans ce milieu, car l’écosystème fonctionne en fait très bien par lui-même ! Le marché de l’art numérique existe déjà par ses collectionneurs, ses artistes, sans aucun besoin d’intervention du marché de l’art traditionnel…
D’un autre côté, les acteurs du Web3, qui militent la décentralisation du web, témoignent aussi d’un aspect plutôt communautaire, qui rend cet écosystème parfois imperméable à l’intervention. Comme le soulignent Benoît et Brian, chaque partie doit donc se donner la peine de bouleverser ses codes et idéologies, pour collaborer avec un fonctionnement qu’ils n'auraient pas choisi d’embrasser initialement.
Certains aspects de l’art numérique paraissent en effet difficilement conciliables avec les modes de fonctionnement de l’art traditionnel. Par exemple, comment gérer la volonté d’anonymat des artistes numériques, alors même que les principes de vente et d’exposition reposent sur une forme de propriété intellectuelle et de médiation artistique ?
L’art numérique et l’art traditionnel appartiennent donc à deux mondes qui restent cloisonnés, mais dont les frontières commencent lentement à se brouiller. Ce que peuvent donc faire les institutions artistiques, c’est apporter leur savoir-faire pour représenter des artistes émergents et développer une médiation sur la question du Web3.
On observe aujourd’hui un ralentissement, voire une stagnation des NFT.
Devanture de la NFT Factory
Ce phénomène peut tenir au fait que le milieu des NFT se complait dans cette cloison, ce vase-clos qu’il a créé autour de lui. Il faut, selon Benoît et Brian, emmener ce monde numérique dans le monde réel pour sensibiliser une autre cible : pas seulement un public averti, mais des individus de tous les âges et de tous les milieux ! Par des prises de parole et des événements physiques, une démocratisation de l’art numérique est possible auprès du grand public. Notons aussi qu’organiser une exposition d’art NFT est coûteux, bien plus qu’une exposition usuelle. Il faut donc faire appel à plus de financement public, mais aussi trouver un business model viable. Pour ce faire, il est important de mettre les compétences en commun, à l’image de la NFT factory, qui compte près de 130 co-founders (plus de détail sur notre article dédié) !
On le comprend bien, collectionner de l’art NFT, c’est mettre en avant un mouvement artistique qui peine encore à se faire une place sur la scène artistique globale, et permettre aux artistes de gagner en visibilité. Il reste donc un grand travail d’évangélisation à mener pour sensibiliser à ces sujets, et c’est la mission qu’Artpoint revendique chaque jour !